Jean-Marie Fage est du pays, du pays des Sorgues. Très tôt, à l'Isle, il rencontre René Char. C'est de bon augure et le poète restera pour lui et pour toujours le maître des "dits" de lumière et des eaux.

Depuis l'enfance, il dessine. Un jour, un instituteur ami de sa famille lui offre des reproductions de peintures de l'école de Barbizon : Il y avait Corot et Jules Dupré. J'ai découvert ces images en même temps que la peinture. Mon père qui était maçon conservait dans le grenier de la maison des sacs de jute. J'en ai pris quelques-uns que je faisais tremper dans la Sorgue pour les débarrasser de la poussière de plâtre. Avec des liteaux j'ai fabriqué deux châssis pour y tendre la toile. Je peignis ainsi le grand chêne sous un ciel d'orage d'après Dupré, puis le paysage de Corot que j'admirais : des arbres qui se fondaient dans l'atmosphère et un étang qui approfondissait le ciel jusqu'au premier plan.

Naissance d'un peintre

Avec des amis qui partagent sa passion, il campe son chevalet devant le motif : paysages, portraits, natures mortes... Il fait la connaissance d'Auguste Chabaud au Mas de Madame à Graveson ; le personnage l'impressionne et l'œuvre du peintre le marquera. En 1950, il s'installe à Paris, découvre le Louvre et fréquente l'académie d'André Lhote. Plus tard, en 1970, il rencontre le peintre Louis Latapie à Avignon. Leurs échanges sont déterminants dans l'orientation de son travail pictural. Une autre fois, en compagnie de René Char, il fait la rencontre de Georges Braque qu'il admirera toujours. Après L'Isle-sur-la-Sorgue et Avignon, il s'installe à Goult en 1975 où, depuis, il a vécu et travaillé jusqu’à son décès en 2024.

Ses toiles se peuplent d'oiseaux, de nus et de variations sur le thème de l'atelier... Les couleurs se sont épanouies. Les bleus avant tout — on dit souvent les bleus de Fage ! — mais aussi les rouges, les jaunes et les ocres éclatants. Mais le peintre parle surtout de lumière, de la lumière multipliée : Attendre la lumière, c'est elle qui rayonne à travers les buissons.

Excentrique, le dessin sur l'arbre se transforme à chaque instant, comme la couleur. C'est d'ailleurs elle qui crée la forme. Lorsque le ciel est gris, tout est confondu.

Et aussi : Ce que je peins est comme la lumière furtive, l'inconnu devient présent, la poétique colorée se laisse saisir par la nécessité de sa seule existence...

Poétique de la lumière, donc, il n'est pas étonnant que des amis poètes comme René Char, Jacques Kober, Eugène Guillevic, et d'autres encore, l'aient accompagné tout au long de sa vie. Ainsi, des poèmes de Guillevic, Jean-Pierre Geay, Jacques Kober, Guy Mathieu, Georges Morin, Charles Walker... se verront accompagnés de gouaches colorées et une série de petits livres d'artiste prend forme.

Dans une suite toute récente d'un format plus grand, appelée Le Livre Pauvre - sorte de quatuor de poètes - l'un des quatre exemplaires illustrés contient un long et beau poème envoyé par Philippe Jaccottet.

Une dernière citation : La peinture peut être une manifestation du bonheur de vivre en traduisant un acte d'amour entre le peintre et la monde des formes et des couleurs qui l'entourent. En fait, j'essaye d'aimer davantage et de comprendre à ma façon la part reçue de la nuit des temps que les poètes nous aident à approcher en montrant ce que le premier regard ne voit pas.

En 2020, il aura connu la joie d’une magnifique exposition au Centre d’art Campredon, dans sa ville natale de L’Isle-sur-la-Sorgue, malheureusement écourtée par la pandémie, et reprise aussitôt au Musée Vouland d’Avignon jusqu’en 2021.

Jean-Marie Fage vient de décéder le 14 janvier 2024, dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année, entouré de ses quatre enfants. Il a rejoint sa chère épouse, Michka, sa muse, son modèle, son soutien permanent durant des années, qui l’attend depuis 1997 au cimetière de l’Isle-sur-la-Sorgue…

Karin Lessing Merveille
avec la participation d’Anne Fage